Faciliter la vie en ville grâce à des méthodes nouvelles ? Depuis septembre 2010, c’est l’objectif du nouveau master spécialisé URBANTIC lancé par l’Ecole d’Ingénieurs de la Ville de Paris (E.I.V.P.) bientôt rejoint par l’Ecole des Ponts Paris Tech. Une formation issue d’un constat : les nouvelles connaissances peuvent améliorer la qualité de la vie en ville. Chronique Prospective.
article publié dans Le Courrier de l’Architecte (11-05-2011) : http://www.lecourrierdelarchitecte.com/article_1810
Derrière les techniques de pointe, déjà opérationnelles dans de multiples domaines, se constituent de nouveaux savoir-faire qui permettront de rendre compatibles les économies d’énergie, l’optimisation des transports et des marchandises, la simplification des tâches fastidieuses, la meilleure collaboration intergénérationnelle, la diminution de l’empreinte écologique, la meilleure communication entre les individus et entre les groupes, l’amélioration de l’état de santé des urbains, etc.
Emmanuel Natchitz fait partie des professionnels de l’aménagement qui voient loin. Il a monté au sein de l’Ecole d’Ingénieurs de la Ville de Paris (E.I.V.P.) URBANTIC, une formation fortement ancrée dans la réalité de la vie professionnelle, ouverte à ceux qui veulent mieux connaître, expérimenter et valoriser cette nouvelle donne. La ville des technologies de l’information et de la communication est déjà une réalité ; Emmanuel Natchitz propose de former ses nouveaux acteurs.
Jean Magerand, Claire Bailly : Le master spécialisé URBANTIC a été lancé en septembre dernier. Qu’est-ce qui a présidé à la mise en place de cette nouvelle formation ?
Emmanuel Natchitz : Cette formation a été créée sur la base du constat qu’aujourd’hui la ville se fait et se gère de manière cloisonnée : les transports, les réseaux de flux, la gestion des déchets, la prise en compte des risques naturels ou technologiques, etc. sont traités séparément alors que les outils numériques existants permettraient de prendre en charge ces aspects de manière globale. Aujourd’hui, l’enjeu est le traitement et l’utilisation intelligente et transversale de la masse énorme d’informations dont on dispose.
Des outils existent mais, pour l’instant, chacun travaille dans son coin sans jamais les rendre accessibles. Développer un site internet, tout le monde peut le faire mais monter un site intelligent qui serve vraiment et l’intégrer dans une logique collaborative, c’est autre chose. On se rend compte que dans ce champ de pensée, il y a des gens actifs et compétents parce qu’ils sont sortis de leur strict domaine professionnel en se disant «tiens, j’aimerais bien aller voir ce qui se passe chez le voisin». Dans les logiciels c’est pareil : un logiciel devient intéressant quand le concepteur a compris pourquoi on lui demande de faire un logiciel.
Dans les domaines de la réalité virtuelle, de la maquette 3d, etc., il y a beaucoup à faire. Ces outils sont démocratisés par des usages gratuits alors que les professionnels ne les ont pas intégrés dans leur pratique. Une requête SIG sous Google Maps tout le monde le fait, sauf que personne ne sait que c’est une recherche SIG. En revanche, si on ouvre un logiciel SIG, plus personne ne sait faire. Pourquoi ces outils, qui sont finalement validés, ne sont-ils pas utilisés ? Le géo-portail est très peu utilisé alors que Google l’est énormément. Pourtant, le premier donne une information beaucoup plus fiable, vérifiée. Quand on va dans les petites collectivités, elles n’ont généralement que la source d’information la moins fiable.
Il y a encore beaucoup de collectivités territoriales qui, si elles trouvent ce concept d’intégration très bien, préfèrent attendre avant de se lancer. Sauf qu’il faut désormais tenir compte de la vitesse d’évolution des technologies. Si l’on pense aux téléphones d’il y a dix ans, il est clair qu’ils n’ont plus rien à voir avec les téléphones d’aujourd’hui.
Pour se repérer en ville par exemple, l’information est très difficile d’accès, alors que sur la moindre publicité il y a un flashcode… En ville, il suffirait d’un plan qui tourne en fonction de la position de la personne, avec une webcam qui montre ‘dans cette direction vous allez par là’, etc. alors que les plans actuels sont très difficiles à lire pour beaucoup de gens.
Comment est née cette formation ?
L’E.I.V.P. est à l’origine de ce mastère spécialisé. L’école des Ponts Paris Tech nous a vite rejoints.
Ce programme est issu d’une synthèse de différents besoins exprimés à la fois par les collectivités territoriales mais aussi par les prestataires de services et les associations d’usagers. Nous avons rencontré beaucoup d’acteurs de la ville et essayé de comprendre leurs attentes et leurs besoins.
Ce Mastère spécialisé ressemble à l’EIVP, l’approche du génie urbain à l’école est ouverte sur le monde. Nous formons des spécialistes capables de comprendre les généralités de la ville (technicité, sociologie de la ville, transports, mobilité etc.). Il représente bien les liens qui se tissent entre les besoins de gestion urbaine et l’ouverture sur les nouveaux usages.
A qui s’adresse cette formation ?
Cette formation est un Mastère spécialisé. Elle s’adresse soit à des gens qui viennent de terminer un master, soit à ces gens en formation continue ou reconversion professionnelle qui se rendent compte dans leur activité qu’il y a des pistes intéressantes dans ces domaines. Nos étudiants sont des architectes, des ingénieurs, des gens travaillant pour des collectivités. Mais nous cherchons une mixité : il y a aussi des places pour les personnes qui n’ont pas une formation urbaine mais qui ont développé une sensibilité sur l’urbain, comme peuvent le faire des informaticiens ou des sociologues qui, par ailleurs, apportent une plus-value technique. L’objectif reste le travail sur l’interface entre TIC et ville.
Nous avons un certain nombre de partenaires qui sont des entreprises. Il n’y a pas d’accord de financement réel – c’est un accord de partenariat – où nous apportons des compétences et des réflexions sur la thématique dont ils ont besoin. Une partie des étudiants arrivent à financer tout ou partie de leur formation grâce à la rémunération de leur travail en entreprise.
En terme de contenu, est-ce une formation technique ou plutôt une formation généraliste ?
La formation est articulée entre un semestre de cours et un semestre en entreprise, qui donne lieu à la rédaction de la thèse professionnelle. Le semestre de cours est structuré par un fil rouge, le projet ‘tutoré’ qui est suivi par des professionnels. Chaque étudiant développe un sujet en accord avec ces professionnels et l’équipe pédagogique. Les premiers cours servent à donner une base commune aux étudiants sur ce qu’est la ville, en relation avec les horizons différents et les approches multiples que présentent les personnes au sein d’une même promotion. Parmi les cours, une place importante est laissée aux outils numériques : maquette 3D, SIG, modélisation, géolocalisation, géo-décisionnel, bases de données, etc.
Ce qui est intéressant dans ce programme est l’aspect multi-sectoriel et multi-culturel. Un outil n’est valable que si on sait s’en servir et si on sait aussi pourquoi s’en servir. Avec les TIC, l’outil qui peut être mis en place participe de l’aide à la décision pour les politiques, de l’aide dans la mise en place de la gestion concrète du projet, dans le passage maître d’ouvrage / maître d’oeuvre / exécution. Mais pourquoi s’arrêter là ? On pourrait aussi l’ouvrir aux usagers de la ville.
Par exemple, si on fait une maquette numérique 3D, on va s’en servir pour la décision politique, la concertation publique, les modèles de calcul, la gestion du projet. Mais on peut aller plus loin et la rendre publique pour que les gens s’y retrouvent, l’utilisent dans la navigation pour aller d’un point A à un point B autrement qu’à partir des indications qui sont dans la rue.
Tout cela est déjà dans des outils courants comme ‘Google street mapper’, etc. mais personne n’a la main dessus ; c’est une multinationale qui gère ce genre d’outil. Alors qu’une collectivité territoriale, avec l’assemblage de toutes ces informations, pourrait donner accès aux gens pour qu’ils puissent savoir, par exemple pour aller à la crèche, quelle est la station la plus proche ou encore s’ils pourront garer la voiture et où, qu’ils puissent évaluer la durée de parcours en temps réel. On a aujourd’hui des smartphones qui permettent de télécharger quantité d’applications, pourquoi ne pas mettre à disposition ce type d’information dont la véracité puisse s’enrichir de la connaissance et de la pratique du public ?
D’aucuns envisagent surtout le sens de l’information allant des décideurs vers l’usager mais il est permis de réfléchir autrement. L’usager peut constater un certain nombre de malfaçons sur l’espace public quand il se déplace. Pourquoi ne pourrait-il pas faire remonter l’information, en la géolocalisant dans une maquette numérique ? On peut avoir des systèmes de vérification, de contrôle très sophistiqués par la géolocalisation. Aujourd’hui, ces outils existent, que ces informations soient très simples ou très sophistiquées.
A Genève par exemple, il existe déjà des modes de gestion numérique : quand n’importe quel projet est mis en place, l’information est livrée sur le terrain, dans un format standardisé. Quand le projet est fini, l’information complétée et intégrée directement est livrée à nouveau. Il y a d’autres applications à développer, dans l’aide à la mobilité notamment. Pour les personnes à mobilité réduite, des stations de métro sont équipées, d’autres pas. C’est très cher et compliqué d’équiper toutes les stations. Pourquoi ne pas donner une information qui dit aux gens «si vous avez des problèmes pour marcher, vous pouvez prendre tel bus, ensuite tel métro et arriver à votre destination sans problème» ? On pourrait arriver à une globalisation de l’information qui ne soit pas juste ponctuelle. Les gens qui évoluent dans la ville sont aussi capables d’apporter de l’information.
Si l’intérêt de ces outils est la collecte de l’information, celle-ci requiert des traitements, des spécialisations, des compétences dans la réintégration dans des systèmes professionnels. L’intérêt du programme que nous offrons est qu’il va former des gens qui vont eux-mêmes proposer de nouveaux outils et des plates-formes d’aide collaborative montrant la capacité d’interaction dans les deux sens. En effet, il n’y a pas que des situations où le décideur ordonne et puis après tout le monde exécute car les gens font partie de la ville ; prenez les systèmes de covoiturage, etc.
Pour l’instant, tout cela est basé sur des initiatives privées : quelqu’un décide de mettre en ligne telle information sur son site. Les collectivités pourraient aussi le faire. Il faudrait même le prévoir dès le départ. Ce qui est important est l’ouverture vers d’autres domaines culturels, d’autres domaines de compétences. Même si, en sortant de ce diplôme, on n’est pas capable de tout faire, au moins aura-t-on une ouverture d’esprit permettant de voir ce qui peut être fait, quel est le bon interlocuteur, comment discuter avec lui de manière intelligente.
Notre objectif est de former des gens capables de faciliter la vie en ville grâce à toutes les méthodes nouvelles.
Propos recueillis par Jean Magerand et Claire Bailly